Projet Anomies, par Raphaële Jeune et Audrey Cottin dans le cadre d’une résidence à Phénorama, laboratoire de l’ENSCI rattaché au Labex CAP « Création, arts et patrimoine ».
PROJET « ANOMIES »
Résidence Audrey Cottin / Raphaële Jeune
Phénorama automne 2012 / ENSCI
Le laboratoire Phénorama de l’ENSCI, inscrit dans le LABEX Création, Art, Patrimoine, a invité Audrey Cottin et Raphaële Jeune pour sa première session de résidence trimestrielle, du 18 octobre 2012 au 7 janvier 2013.
La résidence d’Audrey Cottin et Raphaële Jeune, sous le titre « Anomies », consistera à développer des lignes de recherches communes, curatoriales et théoriques pour la première, de création artistique pour la seconde, autour de la notion d’anomie, dans le contexte d’un triple questionnement :
– le processus créatif
– les relations entre l’art et l’industrie
– les formes collectives
CHAMPS DE RECHERCHE DES RESIDENTES
Audrey Cottin, artiste
Audrey Cottin, artiste française vivant à Bruxelles, développe un travail qui repose sur la performance et la collaboration comme forme plastique. Elle intervient dans ce qu’elle nomme des biotopes, des situations qu’elle choisit ou dans lesquelles elle est conviée, et invite des personnes dans une construction collective dont le processus créatif, avec tous ses aléas, fait l’œuvre.
Les formes qu’elle produit le sont donc collectivement, et la qualité d’auteur est partagée par les personnes impliquées.
Ne produisant pas d’objet destiné à une exposition ultérieure, la démarche d’Audrey Cottin repose sur le devenir de la forme, se situant dans la lignée de l’art événementiel. Elle s’intéresse a ce qui advient dans la rencontre et la forme obtenue n’est jamais cadrée à l’avance.
Raphaële Jeune, doctorante
Commissaire d’exposition et doctorante à l’Université Rennes 2, Raphaële Jeune axe sa recherche sur les formes de l’événement dans l’art à l’ère des industries créatives. Elle s’intéresse aux démarches artistiques et curatoriales qui reposent sur une dynamique événementielle au sens philosophique du terme : surgissement de l’imprévu, prise de forme et de sens dans l’instant présent, disponibilité à ce qui advient, etc. Sont concernées les formes de la performance mais aussi des œuvres d’autres registres (installations, sculptures, processus, dispositifs) qui recourent à l’événement ainsi entendu.
PROJET DE RECHERCHE COMMUN : « ANOMIES »
Audrey Cottin et Raphaële Jeune ont choisi de travailler sur la notion d’anomie qu’elles partagent dans leurs préoccupations. L’anomie est le caractère de ce qui n’a pas de loi, n’est pas nommé. L’anomie, dans son sens positif, inspiré par le philosophe Jean-Marie Guyau (1834-1888), est « créatrice de formes nouvelles de relations humaines, d’autonomies qui ne sont pas celles d’une référence à des normes constituées mais ouvertes sur une créativité possible (…), elle incite l’individu à des sociabilités jusque-là inconnues ».
> Pour Audrey Cottin, l’anomie caractérise le mode d’ouverture dans lequel la forme prend corps, son devenir. Elle ne connaît jamais par avance non seulement les contours de cette forme, mais aussi ses composantes, son rythme, sa temporalité, son ampleur spatiale. Audrey Cottin attache beaucoup d’importance au collectif, aux relations qui s’instaurent et évoluent dans un groupe, entraînant des mutations dans la pensée et les sensations de chacun vis-à-vis des autres et d’eux-même. Dans son travail, la forme collective s’avère anomique dans le sens où les relations qui se tissent ne répondent à aucune norme préétablie et où elle s’invente au fur et à mesure de son apparition, ce processus temporel étant homothétique avec le temps de l’œuvre.
> Pour Raphaële Jeune, l’anomie est au fondement de l’événement, car ce qui advient n’est jamais nommé, jamais connu par avance. Ce qui vient, nous l’ignorons. L’anomie est une notion qui, selon elle, permet d’aller plus loin dans la compréhension de la place de l’art aujourd’hui par rapport à l’industrie et à l’économie.
> Pour l’ENSCI, l’anomie est une notion reliée à l’invention de ce qui n’existe pas encore, de ce qui n’est pas encore nommé. La création industrielle entretient un rapport crucial à l’avenir, qu’il s’agit tout autant d’anticiper que de créer. Avec l’absence de déterminant qu’elle suppose, l’anomie pourrait ouvrir un champ de possibilités inouïes, voire même d’impossibilités, c’est-à-dire de choses, de faits, à venir, mais que l’on ne peut même pas envisager aujourdhui. Comme pour Audrey Cottin, l’anomie peut être rapprochée de la dimension collective, la création industrielle étant le fruit de l’intelligence collective et de process de production engageant nombre de compétences diverses et complémentaires et les produits de la création industrielle s’adressant parfois à des groupes sociaux.
L’anomie peut-être mise en regard de deux autres notions qui la cernent : l’autonomie et l’hétéronomie. L’autonomie est la qualité de ce qui n’obéit qu’à sa propre loi, et l’hétéronomie caractérise ce qui subit la loi du milieu environnant.
Nous nous proposons de partir de cette trilogie pour explorer plus avant les conditions d’existence des choses entre art et industrie :
– traditionnellement, on dit que l’œuvre d’art est autonome, qu’elle ne répond qu’à sa propre loi, que cela signifie-t-il ? Son retrait dans un espace blanc prétendument neutre en est-il le symtôme ? Qu’en est-il des œuvres contextuelles ?
– l’objet utilitaire, industriel, répond à un besoin qui lui donne sa forme et son fonctionnement, est-il pour autant hétéronome ? L’objet utilitaire peut-il contenir une part d’autonomie ?
– l’anomie caractériserait l’absence de loi, il n’y aurait ni la loi en propre, ni celle du milieu. Ne pourrait-elle fournir un régime intermédiaire, ou une ouverture vers un champ où rien n’est prédéfini ? Ou l’on observerait les choses dans leur processus d’apparition sans tenter de les définir selon des règles préexistantes.
STRUCTURE DE NOTRE INTERVENTION À PHÉNORAMA
Notre projet « Anomie » se déroulera en trois temps:
– un temps pédagogique à l’ENSCI : interventions auprès des étudiants du studio Arts Plastiques (octobre à décembre)
– un temps artistique au Centre Pompidou : performance proposée dans les espaces du Centre avec la complicité des post-doctorants du Labex, en janvier ou février
– Un temps scientifique à l’INHA : une conférence de clôture de la résidence permettra d’en établir le bilan avec l’aide, si possible, d’un ou de deux personnes extérieures.
1/ Temps pédagogique / ENSCI / 18/10/12-07/01/13
Nous proposons aux élèves de réfléchir sur la triade anomie/autonomie/hétéronomie par rapport au processus créatif entre l’art et la création industrielle. Cet atelier alliera la mise en place d’une réflexion théorique sur ces notions à la production d’un travail pratique dont le résultat sera présenté dans l’exposition de clôture en janvier dans le hall de l’école.
Quelques pistes de travail :
– créer un objet/processus en spéculant sur la dualité autonomie / hétéronomie.
– partir d’une chose existante (objet, procédure) et déconstruire sa causalité, sa raison d’être jusqu’à épuisement… produire une forme issue de cette déconstruction.
– prendre une chose utilitaire et la penser comme une œuvre, voir quelles conséquences cela a dans la relation entretenue avec la chose (quelques retours sur des faits d’histoire de l’art, cf Marcel Duchamp, Joseph Kosuth, Pieter Engels).
– Quelle anomie peut naître du processus organique de confrontation collective ? Quelles altérations des conceptions de chacun par les autres pour quelles dynamiques d’invention (invention de l’impossible, de l’imprévisible, etc.).
Certains auteurs ayant abordé ces notions offriront une boîte à outil à exploiter : Jacques Rancière, Emmanuel Kant, Jean-Marie Guyau, Jean Duvignaud.
2/ Performance Operating Theater Pompidou <> S.M.A.K / Centre Pompidou / janvier 2014
Pour réaliser une performance le temps d’une soirée, Audrey Cottin souhaite, en collaboration avec Raphaële Jeune, solliciter la participation active des postdoctorants du Labex Création, Art, Patrimoine, qui seront en contrat en 2013. Il s’agira de proposer à ces chercheurs d’élaborer une forme collective in situ, dans les espaces du centre pompidou, le temps d’une soirée, en mettant en jeu leur champ de recherche respectif dans l’environnement du centre, dans le contexte du labex (enjeux, stratégie, structuration) et en lien avec les recherches des autres chercheurs (mutualisation des savoirs, ponts entre les thématiques, confrontations, sauts géographiques et historiques, etc.). Cette démarche explorera une manière alternative de créer de la transversalité entre des champs du savoir qui restent parfois éloignés les uns des autres, et dont le frottement peut générer de l’inouï.
voir le blog O.T Pompidou<>S.M.AK
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